La société Air Next, basée à Paris, a proposé il y a quelques semaines une levée de fonds en cryptomonnaies. Problème : pour obtenir le visa de l’Autorité des marchés financiers (AMF), pourtant optionnel, Air Next a transmis un certain nombre de documents, dont certains étaient des faux. Le régulateur a immédiatement alerté les épargnants sur le risque de fraude, aujourd’hui avérée. Ce qu’il faut savoir sur cette arnaque.
Dirigeant fictif et usurpation d’identité
Au mois de février, la société Air Next enregistre son siège social à Paris, déclare disposer d’un capital social d’un milliard d’euros, et s’immatricule au tribunal de commerce de Paris.
Air Next annonce qu’elle souhaite développer une application basée sur la blockchain, permettant aux utilisateurs d’acheter des billets de train ou d’avion en cryptomonnaies. Les tarifs seront très concurrentiels et les utilisateurs bénéficieront de garanties de remboursement en cas de retard ou d’annulation, grâce à des « Smart Sontracts » (des « contrats intelligents »), à savoir des protocoles informatiques s’appuyant sur la technologie blockchain.
Durant l’été, Air Next, officiellement dirigée par Philippe Vincent (dont l’identité a en réalité été usurpée), commence à recruter. La société embauchera en tout 35 salariés, via des annonces sur LinkedIn et des entretiens en visioconférence. À ce stade, aucun d’entre eux ne se doute qu’ils viennent d’être embauchés par une société fictive. Certains cadres démissionnent même de grands groupes américains ou français pour rejoindre les rangs d’Air Next.
« Nous étions 35 dans l’entreprise à croire en ce projet, 35 à croire que l’entreprise allait révolutionner le marché », a déclaré un ancien employé d’Air Next au média Cryptoast. Toutes les personnes recrutées avaient « des situations professionnelles enviables et ont quitté des postes importants pour rejoindre cette aventure ».
Le dirigeant fictif de l’entreprise, Philippe Vincent, était officiellement un trader qui aurait gagné des sommes conséquentes en investissant seulement quelques dollars au tout début du Bitcoin. Les employés ne l’ont jamais rencontré : ils étaient en contact avec Julien Leclerc, le chargé de recrutement, à qui le dirigeant aurait délégué la structuration de la société.
En réalité, ces deux hommes étaient une seule et même personne, coupable d’usurpation d’identité. Les employés le voyaient chaque jour, mais uniquement en visioconférence, et l’homme utilisait des logiciels deep voice et deep face pour prendre une autre apparence.
Une faute de frappe alerte l’Autorité des marchés financiers
Air Next décide alors, pour mener à bien son ICO (Initial Coin Offering), qui va lui permettre de lever des fonds en échange de jetons numériques (tokens) à utiliser dans sa boutique, d’obtenir un visa de l’Autorité des marchés financiers.
Le visa de l’AMF est facultatif en France, mais il offre des garanties aux investisseurs. Il s’agit d’un label qui s’obtient en fournissant au régulateur un certain nombre de documents informatifs sur la société et l’offre de jetons.
Problème : l’AMF, après avoir étudié les documents envoyés par Air Next, soupçonne immédiatement un certain nombre d’entre eux d’être des faux. Parmi les éléments qui ont éveillé les soupçons de l’AMF, une faute de frappe située en bas de l’attestation bancaire a été décisive. Au lieu du nom « Edmond de Rothschild », on peut lire « Edemond ». Une erreur grossière qui amène l’AMF à publier rapidement un communiqué, en date du 30 septembre, pour alerter les potentiels investisseurs sur le risque de fraude.
Craignant, à juste titre, que l’arnaque soit décelée, Air Next décide quelques heures avant la publication du communiqué de l’AMF d’avancer la date de la prévente de tokens. Mais il est déjà trop tard : au lieu des millions d’euros espérés, la société ne lève que 150 000 euros.
D’autres éléments avaient déjà mis la puce à l’oreille des spécialistes des cryptoactifs, comme le montant exorbitant du capital social. Pourquoi une société disposant d’un capital social d’1 milliard d’euros aurait-elle besoin d’organiser une levée de fonds ?
De plus, le whitepaper d’Air Next, un livre blanc délivrant toutes les informations indispensables sur le projet et la société, contenait certaines incohérences. Ainsi, le dirigeant de la société aurait fait fortune en investissant dans le Bitcoin dès décembre 2009, alors que la toute première vente n’a eu lieu qu’en octobre 2009 et qu’à l’époque, seules quelques personnes connaissaient déjà cette cryptomonnaie.
Une fois l’arnaque révélée par l’AMF, le fameux Julien Leclerc, loin de se démonter, adresse une note à ses employés, dans laquelle il leur suggère d’ouvrir « un canal Telegram dédié […] et peut être monter ce projet sous forme de Scop », comme le révèle le média Cryptoast.
Aujourd’hui, les investisseurs et les salariés ont porté plainte, et regrettent que le tribunal de commerce de Paris n’ait pas détecté la fraude plus tôt, alors même que l’attestation bancaire contenant la faute de frappe lui avait été transmise avant l’immatriculation d’Air Next au Registre du Commerce et des Sociétés.
Ils dénoncent également le rôle de certains médias et influenceurs spécialisés, qui ont relayé le projet d’Air Next sans prendre la peine de faire des vérifications plus poussées, contribuant ainsi à renforcer sa crédibilité.