Le parlement ukrainien, la Rada, vient d’adopter définitivement un projet de loi légalisant et encadrant l’usage des cryptomonnaies, et plus largement des « actifs virtuels ». L’objectif principal de ce projet de loi, dans le contexte actuel, est de permettre les dons en cryptomonnaies pour soutenir l’économie du pays.
Un appel aux dons en cryptomonnaies lancé par le gouvernement ukrainien
Avant l’adoption de ce projet de loi, les plateformes d’échange de cryptomonnaies faisaient l’objet d’un vide juridique en Ukraine : la notion d’actif virtuel n’était pas clairement définie, et il n’était pas légal de posséder et d’échanger des cryptomonnaies, ce qui empêchait également les autorités de lutter contre la fraude.
Désormais, l’usage des cryptomonnaies est autorisé et encadré, dans un objectif précis à court terme : permettre les dons en cryptomonnaies, notamment en bitcoin et en éther, visant à soutenir l’économie ukrainienne en temps de guerre.
Jusqu’ici, seules les ONG ukrainiennes récupéraient les dons en cryptomonnaies, profitant du vide juridique qui les entourait. L’ONG Come Back Alive a ainsi récolté 6,8 millions de dollars en bitcoins, et l’organisation autonome décentralisée Ukraine DAO, créée entre autres par l’une des fondatrices des Pussy Riot, a bénéficié de 3 millions de dollars de dons en bitcoins.
À présent, le gouvernement ukrainien lui-même peut lancer des appels aux dons en cryptomonnaies, ce qu’il fait depuis le samedi 26 février via Twitter, en fournissant 3 adresses pour des virements en éthers, en bitcoins et en USDT (Tether).
Stand with the people of Ukraine. Now accepting cryptocurrency donations. Bitcoin, Ethereum and USDT.
— Ukraine / Україна (@Ukraine) February 26, 2022
BTC - 357a3So9CbsNfBBgFYACGvxxS6tMaDoa1P
ETH and USDT (ERC-20) - 0x165CD37b4C644C2921454429E7F9358d18A45e14
Les cryptomonnaies, un soutien à l’économie à court et moyen terme
Si les cryptomonnaies ont l’inconvénient de ne pas être stables, elles permettent de transférer de l’argent sans avoir de comptes à rendre aux différents gouvernements. Une particularité très appréciée dans ce contexte, alors que la banque centrale ukrainienne, depuis l’instauration de la loi martiale, limite les retraits des comptes bancaires à 100 000 hrivnas par jour, ce qui représente un peu moins de 3 000 euros.
Autre preuve que les cryptomonnaies permettent de s’affranchir de la tutelle des gouvernements, la demande du vice-premier ministre ukrainien, Mykhailo Fedorov, qui a appelé les plateformes de cryptomonnaies à bloquer les comptes des résidents russes en Ukraine, a été rejetée par la plus grande d’entre elles, basée dans les îles Caïmans, Binance.
L’un de ses porte-parole a déclaré qu’une telle décision « irait à l’encontre de la raison pour laquelle la crypto existe », à savoir « offrir une plus grande liberté financière aux personnes du monde entier ».
D’après le gouvernement ukrainien, le projet de loi qui vient d’être adopté devrait également permettre, à plus long terme, d’attirer des fintechs étrangères et des investisseurs. Pour cela, l’Ukraine a choisi de limiter le taux d’imposition à environ 5 % sur les bénéfices, et de permettre aux entreprises de cryptomonnaies d’échapper à la taxe sur la valeur ajoutée.
Le gouvernement prévoit également de redynamiser l’économie du pays en participant au « minage » de cryptomonnaies, un processus informatique très énergivore qui permet notamment de valider des transactions. Or, l’Ukraine dispose de plusieurs centrales nucléaires, dont la centrale de Zaporijjia, la plus puissante d’Europe, et le gouvernement entend bien mettre à disposition de plusieurs entreprises européennes l’énergie excédentaire provenant de ces centrales.
Cryptomonnaies, fraude et corruption
En quelques années, l’Ukraine s’est hissée à la 4ème place du classement des pays qui utilisent le plus les cryptomonnaies, derrière le Vietnam, l’Inde et le Pakistan. 5,5 millions d’ukrainiens y ont recours, soit 12,7 % de la population nationale, pour un volume moyen de transactions de 150 à 200 millions de dollars par jour, soit plus que les transactions interbancaires en monnaie fiduciaire.
Cet usage très répandu des cryptomonnaies par la population s’explique par un manque de confiance dans le système financier, lié notamment à la corruption. Pourtant, l’anonymat rendu possible par les cryptomonnaies fait craindre une explosion de la corruption suite à l’adoption du projet de loi qui légalise leur utilisation.
1,4 % des transactions en cryptomonnaies effectuées entre juillet 2019 et juin 2020 dans les pays d’Europe de l’Est auraient servi à financer des activités illégales, selon un rapport de Chainalysis, classant ainsi l’Europe de l’Est juste après l’Amérique latine, en deuxième position des régions du monde concernées par le financement d’entités illégales en cryptomonnaies.
Si Volodymyr Zelensky, le président de l’Ukraine, a reconnu l’importance de la fraude aux cryptomonnaies dans le pays, il estime toutefois que la récente législation permettra d’y remédier, grâce à un encadrement plus strict et à l’essor d’un « marché légal et innovant ».
Pour certains spécialistes, la réglementation des cryptomonnaies ne doit pas faire passer la lutte contre la corruption au deuxième plan, sous peine de voir cette dernière augmenter.